1. Combustion

(P. Da Costa, Ph. Guibert , G. Legros, A. Matynia)

Au cours du dernier quinquennal, l'activité combustion de CEPT s'est durablement s'installée dans le paysage international. L'activité, menée par P. Da Costa, P. Guibert, G. Legros et A. Matynia, se décline essentiellement en deux thèmes, que sont la caractérisation et le contrôle de la production de particules de suie d'une part, et l'auto-inflammation d'autre part.

1.1 Particules de suie au sein des écoulements réactifs

Les recherches entreprises par l'équipe CEPT dans ce domaine visent à la caractérisation et au contrôle de la production de particules de suie. Le contrôle des émissions de particules par les systèmes propulsifs, aussi bien terrestres qu'aéronautiques, est en effet devenu un enjeu sociétal majeur. Nombre de publications récentes démontrent les effets fort nocifs de l'inhalation par l'Homme de telles particules tandis que d'autres posent clairement la question de l'influence des particules relâchées en haute atmosphère par les turboréacteurs sur le flux solaire incident. La démarche de CEPT sur le dernier quinquennal a consisté à dédier localement des efforts significatifs aux développements expérimentaux avec l'ambition d'attirer sur des configurations pertinentes des expertises mondialement reconnues dans le domaine de la simulation numérique. Pour ce faire, les enjeux ciblés ont cherché le délicat équilibre entre recherche fondamentale (diagnostic optique, conditions expérimentales originales) et recherche appliquée (test standard de propension à la production de suie, contrôle de la propagation d'incendie en configuration spatiale).

Caractérisation. Dans le cadre de la thèse de Qianlon Wang, soutenue en 2015, l'équipe CEPT a développé de façon originale la technique dite d'Absorption/Emission Modulée (MAE). Le principe consiste à mesurer à deux longueurs d'onde différentes les champs d'absorption et d'émission au sein d'une flamme et d'ainsi remonter aux champs de concentration (fraction volumique) et de température de suie. Le développement de ce diagnostic optique de pointe a notamment permis à l'équipe CEPT de contribuer pleinement au Groupement de Recherche "Suie" (CNRS 3622) depuis sa création en 2015. Il constitue aujourd'hui le socle nécessaire à une base de données expérimentales originale et consistante. Cette base est en particulier exploitée dans le cadre d'une collaboration avec F. Liu (NRC Ottawa) et J.-L. Consalvi (IUSTI Marseille), affinant ainsi les modèles de formation/oxydation des particules de suie introduits dans leur outil de simulation numérique. Sur le dernier quinquennal, le diagnostic optique est de fait au cœur de plusieurs publications, dont 6 Combustion & Flame et 3 Proceedings of the Combustin Institute.

L'outil expérimental a été déployé de sorte à sonder la pertinence du test standard, dit 'Yield Sooting Index', (YSI) quantifiant la propension d'un combustible à produire des particules de suie. Le brûleur axisymétrique de l'Institut a été modifié pour permettre à l'écoulement combustible d'incorporer des vapeurs de carburants "lourds" (c'est-à-dire liquide aux conditions standard de température et de pression). L'intérêt industriel d'un tel test est évident puisque le test pourrait à terme servir d'outil d'aide à la décision lors de la formulation chimique de nouveaux carburants. L'équipe CEPT a ainsi réalisé des prestations pour EADS et Solvay afin d'évaluer l'influence en terme de production de particules de suie de l'ajout de biocarburants à des hydrocarbures classiques. Il faut noter que la méthodologie ainsi développée à ∂'Alembert a fait l'objet de 4 publications dans Combustion & Flame.

Aujourd'hui, la dynamique créée lors du dernier quinquennal autour de l'activité a permis de générer une étroite collaboration avec la sensibilité Génie des Procédés de CEPT. Dans le cadre du projet ANR APPI'BIO, la thèse de J. Abboud, initiée en Janvier 2015, a permis d'étendre le dispositif utilisé pour le test YSI afin d'y réaliser des prélèvements à l'échappement. L'aspect stationnaire du brûleur en fait un générateur fiable de particules aux caractéristiques particulièrement reproductibles. De façon originale, une comparaison entre particules produites avec et sans ajout de combustibles oxygénés, de type biocarburants, est alors permise en terme de réactivité, ce dans l'objectif d'anticiper les stratégies optimales de post-traitement de ces particules, fonction de la composition du carburant qui les a produites.

Contrôle. La maîtrise des conditions menant à l'extinction locale d'une flamme en présence de particules de suie est un verrou auquel s'attèle une partie de la communauté scientifique tournant autour de la combustion. Cet enjeu recouvre notamment le contrôle du largage des particules de suie dans l'atmosphère, leur oxydation étant incomplète, mais également les stratégies d'étouffement d'un incendie, les particules de suie étant un agent essentiel des transferts radiatifs provoquant les pertes thermiques susceptibles d'aboutir à un tel étouffement des réactions chimiques.

Dans le cadre d'une co-tutelle avec le Pr H. Pitsch (RWTH Aachen), la thèse d'A. Jocher, soutenue en Février 2017, a permis d'appréhender le levier que peut constituer un champ magnétique appliqué à une flamme. La configuration académique retenue est celle largement documentée du brûleur axisymétrique à jets laminaires co-courants, dit de Santoro, développé à l'Institut. En présence d'un gradient de champ magnétique, une force volumique de magnétisation s'applique sur les molécules paramagnétiques. Au sein des flammes, les molécules de dioxygène O2 et les radicaux libres OH présentent une susceptibilité magnétique non-négligeable et sont par ailleurs deux des principaux agents d'oxydation des particules de suie. De cette intuition initiale a découlé une première série d'études menées sur des flammes stables en présence de gradient de champ magnétique. Les travaux d'A. Jocher ont ainsi démontré qu'au premier ordre, le champ de force généré influence le temps caractéristique de résidence au sein de la flamme, contrecarrant potentiellement l'accélération liée aux forces de flottabilité. A titre d'illustration, dans le cas des flammes non-prémélangées, un gradient de champ ascendant mène à un temps de résidence accru et à une élévation du pic de fraction volumique de suie au sein de la flamme. Une seconde série d'études a ensuite été menée sur des flammes sujettes à une instabilité basse fréquence, dite de "flickering". Cette instabilité mène en particulier au largage périodique de particules dans l'atmosphère. En précipitant la formation des particules au sein de la flamme grâce à l'effet magnétique évoqué plus tôt, les conditions d'extinction locale obtenues périodiquement au cours de l'instabilité peuvent alors être évitées. Ce constat a initialement été établi de manière expérimentale et est corroboré à la fois par des simulations numériques (cf Figure ci-dessous) et une approche théorique d'analyse de stabilité linéaire.

 

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Champs de fraction volumique de suie au sein d'une flamme d'éthylène: à gauche, à différents instants (phase) au cours d'une période de l'instabilité de flickering; à droite (stable), lorsque la flamme est totalement stabilisée sous l'influence d'un gradient de champ magnétique. (a) Champs mesurés sur le brûleur de ∂'Alembert; (b) champ simulé par le code CIAO du Pr H. Pitsch. (A. Jocher et al, Phys. Rev. E, 2017)

1.2 Combustion par auto inflammation basse température de biocarburant.

Les nouveaux concepts de combustion pour de la propulsion aéronautique ou terrestre doivent permettre de réduire à la source les émissions polluantes et proposer des efficiences énergétiques maximales. La combustion homogène pauvre à basse température est l'une des solutions qui répond à ces exigences. Ce mode de combustion permet de réduire les émissions en inhibant la formation de NOx et de suies tout en conservant un rendement appréciable en raison de sa vitesse de combustion élevée produit par un régime de combustion en masse par auto inflammation. Les applications des processus d'auto-allumage et d’allumage par étincelle doivent donc faire face à une faible réactivité pour une température de combustion faible ou pour des conditions de mélange pauvre. Il est donc nécessaire d’adapter le carburant dans cette plage de fonctionnement. Nous travaillons actuellement sur l'étude

expérimentale de l'auto-allumage et de la combustion d’hydrogène / biomasse gaz. Les propriétés de réactivité des mélanges hydrogène / biomasse gaz sont à l’étude de façon expérimentale sur une machine à compression rapide. Pour s’assurer d’une combustion totale dans un milieu réactif industriel (bruleur, moteur, réacteur), l’utilisation d’un mélange réactif gazeux et solide peut être un atout. Ce mélange de carburant dual comporte alors des particules issues de la biomasse solide (déchets agricoles, lignocellulose) …. C’est un travail de prospective scientifique innovant d’une combustion pauvre diphasique solide gaz qui fait suite à de nombreuses actions autour de la caractérisation de l’autoinflammation en particulier en intégrant les aspects turbulent et d’hétérogénéités inhérents aux systèmes industriels (thèse de Tran K.H.). Un modèle numérique a fait l’objet d’un développement important et répond à la problématique posée. La littérature sur la combustion de la biomasse est très pauvre et doit être accentué dans les prochains mois afin de fournir une base de donnée de validation des cinétiques de volatilité et de combustion (pyrolyse, dépolymérisation et combustion). Un modèle numérique cinétique a fait l’objet d’un développement important et répond à la problématique posée.

 Fig web Combustion PG

 

(a gauche) Géométrie interne RCM et représentation du flux de gaz à des instants successifs dans le temps, jusqu'à la fin du cycle de compression. (à droite) Combustion basse température, dual Fuel biomasse solide et gazeuse.

 

Faits marquants

1. Projet SAFFIRE (SpAcecraFt FIRe safety Experiment) et FLARE (Flammability Limit at REduced gravity)

(cf. http://www.dalembert.upmc.fr/home/legros/index.php/publications)

En micropesanteur, l'échelle des temps caractéristiques de résidence se dilate suite à la disparition des forces de flottabilité. Les particules de suie deviennent alors un acteur d'autant plus crucial des transferts radiatifs qui mènent potentiellement au phénomène d'extinction en queue d’une flamme non-prémélangée. Ce constat, étayé par nombre de résultats antérieurs, a incité l'équipe CEPT à contribuer aux recherches actuelles visant au contrôle de la propagation d’un incendie en configuration spatiale. Les études ici menées s'insèrent dans les efforts de l'équipe thématique regroupant les experts internationaux du domaine qui travaillent aujourd’hui au sein des projets SAFFIRE (SpAcecraFt FIRe safety Experiment) et FLARE (Flammability Limit at REduced gravity). Le projet SAFFIRE, mené par la NASA, vise à la conception et la réalisation d'expérimentations à l'échelle 1 en temps et en espace de propagation de flamme d’incendie à bord du module Cygnus de ravitaillement de la Station Spatiale Internationale (ISS). La première échéance de l'intégration d'un dispositif expérimental à bord de Cygnus a été couronnée de succès en Juin 2016. Au long des cinq autres expérimentations qui seront réalisées à bord de Cygnus, l’ambition du projet est de proposer une réponse adaptative à la propagation de l'incendie par les systèmes embarqués de contrôle du feu. Le projet FLARE, mené par la JAXA, vise, lui, à mieux cerner les leviers de cette réponse. Dans le cadre de ce projet, un accord officiel de collaboration a été signé entre le CNES et la JAXA, identifiant ∂'Alembert comme le partenaire académique français. De fait, le volet français, financé par le CNES, a permis le développement à ∂'Alembert d'un nouveau banc expérimental pour vols paraboliques, baptisé DIAMONDS (Detection of Ignition and Adaptive Mitigation Onboard for Non-Damaged Spacecrafts).1 Cinq campagnes de vols paraboliques fructueuses ont été réalisées entre Octobre 2014 et Novembre 2016.

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 Entre autre, les expériences ont démontré que le niveau de gravité est un paramètre majeur de l'existence d'interaction entre des propagations de flammes établies de façon concomitante sur des échantillons de révolution cylindrique disposés parallèlement les uns aux autres. Cette interaction peut en particulier apparaître lorsque les transferts radiatifs depuis une flamme - transferts pilotés par les particules de suie - deviennent suffisamment importants en l'absence de pesanteur pour agir sur la propagation de la flamme voisine. Le point d'orgue des investigations menées sur cette configuration interviendra lors des expérimentations réalisées à bord du module expérimental japonais KIBO de l’ISS, prévues en Décembre 2019. Cette activité, dont la mécanique est entretenue entre autre par la fascination de l'espèce humaine pour la conquête de l'espace, offre tout particulièrement une attractivité que l'équipe CEPT entend nourrir auprès du jeune public, scolaire2 comme étudiant.3 Cette même attractivité contribue aujourd'hui aux recrutements par ∂’Alembert de doctorants à fort potentiel.

1 page web liée à cette activité : http://www.dalembert.upmc.fr/home/legros/index.php/publications

2 Article paru dans Science & Vie Junior (Juin 2016): http://www.dalembert.upmc.fr/ijlrda/images/SVJ_Feu_espace.pdf

3 Actualités parues sur le site de l’UPMC : http://www.upmc.fr/fr/recherche/actualites_de_la_recherche/en_direct_des_laboratoires/actualite_pole_modelisation_ingenierie/faire_face_a_l_incendie_de_son_vehicule_spatial3.html

 

Projet scientifique à cinq ans

Dans la continuité des efforts de recherche menés sur la compréhension et le contrôle des processus physico-chimiques à l’origine des émissions de particules de suies, un nouveau brûleur académique, référencé « McKenna », est en cours de mise en place au sein du site expérimental de Saint-Cyr l’Ecole. Ce dispositif permet de stabiliser des flammes laminaires de prémélange présentant une évolution monodimensionnelle suivant l’axe du brûleur. Cette configuration permet l’analyse expérimentale de la structure de flamme et notamment le suivi des espèces chimiques au sein de l’écoulement. A ce titre, cet équipement se veut complémentaire du dispositif du brûleur de Santoro dans le cadre des études menées sur la tendance à la production de suies de mélanges originaux (caractérisée par l’indice « Yield Sooting Index », YSI) car il permettra d’analyser plus en détail la chimie de la combustion des mélanges étudiés. Par ailleurs, les résultats expérimentaux pourront être exploités pour aider aux efforts de modélisation des processus de combustion. En particulier, la géométrie simplifiée du système permet l’utilisation de modèles cinétiques plus complexes, indispensables à une analyse chimique poussée, tout en conservant un coût numérique relativement modeste.

En parallèle de ce travail, afin d’étendre la simulation de la combustion à des configurations plus complexes en conservant une chimie relativement détaillée, des efforts sont également menés dans le développement d’outils de réduction sur la base logicielle open-source Cantera. Ce travail est effectué en partie dans le cadre d’une collaboration avec l’ONERA. Les mécanismes réduits ont pour vocation à être exploités par la suite dans le logiciel Cèdre, dans un premier temps pour la simulation des flammes d’éthylène étudiées au sein de l’équipe avec le brûleur de Santoro.

Le travail sur la combustion par autoinflammation de la biomasse ne fait que commencer, et il conviendra de nouer dans les prochains mois des collaborations avec le CIRAD, L’INRA et d’autres acteurs majeurs de la modélisation cinétique de la combustion solide et gazeuse de la biomasse. Ce travail s’inscrit dans une démarche d’imaginer des combustions propres qui ne pourront être substituées à d’autres types de motorisation (électrique) pour de très nombreuses applications.